mercredi 16 avril 2014

Pourquoi ont-ils manifesté?



Les Burundais de la Diaspora ont récemment descendu dans les rues des grandes capitales d’Europe et d’Amérique du Nord. Dans cet entretien, nous avons demandé à Thierry Uwamahoro, l’un des organisateurs des manifestations des Burundais à Washington, pourquoi des Burundais de la Diaspora ont décidé de manifester, et l’impact de telles manifestations pour le Burundi. 

Vous êtes parmi les organisateurs de la manifestation des Burundais à Washington. Qu’est-ce qui vous a poussé à organisé cette manifestation ?

Au fond, la raison qui nous a poussés à organiser la manifestation pour demander la fin des violences politiques au Burundi est la même qui nous a poussé à relever des fonds pour venir en aide aux sinistrés des pluies torrentielles qui se sont abattues sur Bujumbura. Nous suivons au jour le jour ce qui se passe au Burundi. Nous sommes touchés par les évènements heureux et malheureux qui s’abattent sur le Burundi. Nous nous demandons constamment comment apporter notre contribution. Des fois, nous faisons des déclarations. Des fois nous intervenons dans les débats au Burundi à travers les medias. Avec la récurrence de la violence politique, nous nous sommes dit qu’il doit y avoir des Burundais qui aimeraient exprimer publiquement leur rejet  de cet état des choses. C’est ainsi que nous avons lancé un appel à une manifestation pour nous adresser aux gouvernements Américain et Burundais avec des suggestions qui vont dans le sens de redresser cette situation qui nous fait peur dans cette période pré-électorale.

Quel message vouliez-vous donner ?
Notre message se résumait dans le slogan « Respect civil liberties and end  political violence in Burundi » ce qui se traduirait comme « Respecter les libertés publiques et mettez fin à la violence politique ». D’une certaine manière, ce slogan parle d’une cause et d’une conséquence. La violence politique au Burundi provient du non-respect des libertés publiques. Que ce soit les manifestants qui se voient tirés dessus (au gaz lacrymogène ou aux balles réelles), que ce soit les partis politiques qui voient leurs réunions perturbées ou leurs membres tabassés et même tués ; ce sont des violations des libertés publiques. Ces violations des libertés publiques risquent d’entrainer un tac-au-tac ou des mouvements de résistance qui ne présageraient rien de bon pour le Burundi. Alors, comme l’a si bien dit le Pape Paul IV, « Si tu veux la paix, travaille pour la justice ». Sans justice équitable, les libertés publiques seront constamment violées. C’est ainsi que par exemple, nous avons particulièrement plaidé pour la libération de tous les prisonniers politiques. 
 
Les manifestations de Washington ont été suivies par une vague d’autres manifestations des Burundais dans les grandes capitales d’Amérique du Nord et d’Europe. On était pas habitué à voir les Burundais des diaspora se mobiliser pour des causes à caractères politiques. Comment expliquer ce « réveil » de la Diaspora ?

Je ne dirais pas qu’il s’agit nécessairement d’un réveil soudain de la diaspora. Tu viens juste de rentrer au Burundi et tu sais combien, à travers les medias sociaux,  tu engageais les Burundais de la diaspora et ceux au bercail dans des débats sur les questions brulantes de l’heure. Ce que tu continues à faire d’ailleurs.  Je crois qu’il y a seulement ces derniers jours une autre forme de manifestation: nous avons quitté les claviers et écrans pour aller dans la rue. Le fond n’a pas changé, je dirais, c’est plutôt la forme. Nous voulons dire au monde, aide le Burundi avant qu’il ne soit tard. Nous allons continuer à toquer sur les portes au 1600 Pennsylvanie Avenue, au 10 Downing Street, et ailleurs pour leur dire en personne ce qui nous tient à cœur.

Quel peut être l’impact pour le Burundi des manifestations qui se font à l’étranger ?

D’abord, ceux qui manifestent à l’étranger sont des Burundais. On espère que le gouvernement du Burundi écoutera nos doléances de la même manière que tout autre burundais qui a une doléance est écouté (c’est ça la démocratie). C’est un gouvernement pour le peuple burundais et par le peuple burundais (de l’intérieur de de la diaspora). Deuxièmement, comme l’aurait dit un ancien président burundais, il y a quatre ethnies qui influencent les évènements au Burundi : les Hutu, les Tutsis, les Twa, et la Communauté Internationale.  D’ailleurs, des fois, c’est cette dernière « ethnie » qui semble la plus écoutée. Est-ce peut être car elle finance la moitié du budget du gouvernement ? Je ne saurais dire. Alors, quand la diaspora marche devant les parlements et les autres hautes places des exécutifs occidentaux, ce sont des Hutu, des Tutsis, et des Twa qui vont rencontrer cette quatrième « ethnie » et la demander  d’intercéder auprès de leur gouvernement à Bujumbura. Nous espérons que la communauté internationale va continuer à aider le Burundi, qui comme l’aurait rappelé Mme Samantha Power de son passage à Bujumbura, est un pays et non un gouvernement.

Qu’est-ce que vous comptez faire si le pouvoir de Buja décide d’ignorer vos revendications ?

Nous espérons que le gouvernement ne va pas ignorer nos revendications car c’est un gouvernement du peuple. Il ne va pas ignorer les revendications de son peuple. Plus, notre message est un message de paix. Nous avons demandé au gouvernement de 1) Respecter les droits humains, 2) Arrêter la violence à l'égard des manifestants pacifiques, 3)Déverrouiller l'espace politique et permettre à tous les partis politiques de rencontrer leurs membres, 4) Libérer tous les prisonniers politiques, 5)Enquêter sur les violences orchestrées par les mouvements de jeunesse affiliés aux partis politiques, et 6) Honorer la feuille de route convenue entre  les partis politiques à Kayanza.
Nous allons continuer à faire nos demandes et ce à travers plusieurs forums. Certains d’entre nous sont des burundo-américains, par exemple; si le gouvernement ne nous écoute pas en tant que burundais, nous continuerons à demander aussi aux autorités américaines qui représentent aussi certains d’entre nous de continuer à porter notre message. La pétition lancée sur le site de la Maison Blanche va dans ce sens.

Sur les pancartes des manifestants on pouvait aussi lire des slogans comme «arrêter un génocide en préparation ». Y a-t-il vraiment un « génocide en préparation »  au Burundi aujourd’hui ? N’est-ce pas une manipulation de la communauté nationale et internationale ?

D’emblée il faut préciser que les manifestations de la diaspora dans différents pays et villes ne sont pas coordonnées. Il ne s’agit pas des « franchises ». Chaque pays s’organise et prend ses thèmes prioritaires même si je trouve que le dénominateur commun reste la dénonciation et le rejet de la violence politique au Burundi. Les mots et concepts utilisés peuvent variés. Les organisateurs de la marche à Washington ont longuement discuté de cette «information» ou « analyse » qui conclut que les développements sur terrain peuvent déboucher sur un «génocide» socio-politique au Burundi, si on y prend pas garde. Ceci veut dire qu’il s’agit d’une extrapolation des faits observables qui amènent les uns à tirer une telle conclusion. Nous avons décidé de dénoncer ces faits qui si ils perdurent vont continuer à verrouiller l’espace politique au Burundi et peuvent déboucher sur des violences de grande envergure quel que soit le qualificatif qui sera donné à ces violences à posteriori. A la fin le mot génocide n’était pas inscrit sur les pancartes préparées par les organisateurs de la marche. Au terrain de rassemblement, on avait encore de pancartes vierges que nous avons demandé aux participants de remplir tout en précisant qu’il fallait rester dans les marges du thème général de la marche. Une dame, je crois 20 ans mon ainée, s’est approchée de moi et a murmuré le plus sincèrement du monde dans mes oreilles : « Je sais que vous préfèreriez que l’on n’écrive pas le mot génocide sur les pancartes, mais je te jure un génocide se prépare !». Elle m’a parue très convaincue et sincèrement très inquiète. Il ne m’a pas semblé que son intention était de me manipuler. Quand on a commencé la marche, un des participants a lancé le slogan, « no génocide in Burundi » (pas de génocide au Burundi). Il aurait fallu que tu sois là pour entendre l’écho que ça a eu. J’ai entendu qu’un slogan similaire a été lancé par Léonard Nyangoma et Pancrace Cimpaye à Bruxelles. Ceci pour dire que quelques soient les démentis des uns et des autres, les jeux de mots pour disculper les uns et les autres, il y a un malaise que les gens sentent profondément dans leurs cœurs. Un tel malaise ne peut être guéri que par des faits irréfutables indépendamment établis. La balle est dans le camp du gouvernement pour rassurer le peuple burundais et il parait que les mots à eux-seuls ne vont plus suffire.

dimanche 6 avril 2014

Cyprien Ntaryamira, 20 ans après.



Que peut-on dire, 20 ans après l'assassinat du président Cyprien Ntaryamira qu'on commémore aujourd'hui? Que l'homme, comme son prédécesseur Melchior Ndadaye, lui aussi assassiné quelque 4 mois auparavant, comme longtemps avant eux, le Prince Louis Rwagasore, Pierre Ngendandumwe, Ntare V, ont été emportés par l'assassinat politique, érigée en règle par les élites du Burundi (et du Rwanda) indépendant. En 1988, le spécialiste du Burundi René Lemarchand disait devant le congres des Etats-Unis: "Nowhere else in Africa have human rigths been violated on a more massive scale, and more brutal consistency, than in Burundi". Cette triste vérité est valable aussi bien pour le Burundi que pour notre voisin le Rwanda, où l'avion dans lequel voyageaient Ntaryamira et son collègue rwandais Habyalimana a été abattu, et où ce crime a été suivi par un génocide sans précédent. On le sait, le mal des Grands-Lacs trouve ses racines dans l'injustice poussée a outrance, l'exclusion érigée en mode de gouvernement, le mépris des hommes que les détenteurs du pouvoir, se croyant investis du droit de vie et de mort sur ceux qu'ils sont supposés servir, se permettent de massacrer comme bon leur semble, a n'importe quel prétexte.


La meilleure façon de commémorer la mort Cyprien Ntaryamira est de se battre pour que la haine qui l’a emporté, et qui a emporté nos nombreux leaders et simples citoyens depuis que notre burundais est indépendant. Cette haine qui, selon les caprices du moment, choisit sa cible sur la base de l’ethnie, de la région ou du parti politique.   

jeudi 3 avril 2014

Et si l’Accord d’Arusha valait plus que la Bible?



Par Thierry Uwamahoro


Ma foi chrétienne est scandalisée que je puisse poser une question aussi maladroite et hérétique. Heureusement que mes amis chrétiens sont tellement ‘chrétiens’ qu’ils/elles sont prêts à me pardonner. Mais depuis un certain temps, dans leur frénésie d’amender la Constitution, le gouvernement et le parti au pouvoir à Bujumbura tiennent un certain langage anti-Arusha qu’il y a lieu de se demander s’ils comprennent (encore) d’où Arusha a tiré le Burundi. Ils semblent atteints d’une amnésie qui ne leur permet pas de voir cette différence nette entre le Burundi d’avant et après Arusha. Leur phraséologie préférée est que l’Accord d’ Arusha n’est pas la Bible. 

Je ne saurais dire ce que vaut la Bible pour un musulman, un athée, ou un animiste  burundais. Vaut-elle moins ou plus que l’Accord d’Arusha pour eux ? Il faudrait faire un sondage.  Mais ce qui est évident est qu’Arusha a nettement améliore la vie des chrétiens, musulmans, animistes, athées, hutu, tutsi, twa, hommes, femmes, jeunes, et vieux burundais. Paradoxalement, les Bibles dans les mains des Burundais depuis l’arrivée des colons n’avaient pas empêché que l’on se massacre par centaines de milliers. Pour certains, il faudrait absolument garder jalousement cet Accord plus qu’ils/elles s’accrocheraient même à la Bible. Qu’à cela ne tienne. 

Outre les changements de position du député BonavenureNiyoyankana qui a su retenir toute une nation en suspens, nous avons appris que le projet de modification de la Constitution  échoué au parlement pour deux raisons : le parti au pouvoir  tenait mordicus à ce que la nouvelle Constitution ne se réfère plus à l’Accord d’Arusha et exigeait la suppression de l’article 302 de la Constitution de 2005.En empruntant un langage religieux, Il y a lieu de se demander quel saint ou démon inspire cette obsession contre l’Accord d’Arusha. Est-ce seulement pour faciliter au président Nkurunziza de se présenter pour un troisième mandat (comme rendu évident par cette autre obsession contre l’article 302) ou se pourrait-il que le Cndd-Fdd n’a jamais cru dans l’Accord d’Arusha ?

Avec les derniers évènements qui semblent indiquer que le Burundi renoue progressivement avec son esprit d’antan d’exclusion politique et de violences politiques, il y a lieu de pointer à cette à cette situation pour erronément conclure que c’est une preuve que l’Accord d’Arusha n’était pas la médicine indiquée pour le Burundi. Mais cela serait comme conclure que la faute est à la Bible pour un born-again qui aurait renoué avec le banditisme. Si aujourd’hui le Burundi se trouve dans une spirale descendante vers la violence, ce n’est pas parce qu’on a trop appliqué l’Accord d’Arusha. C’est le contraire qui est vrai. Tel un convalescent dont la maladie s’empire pour n’avoir pas suivi les instructions du médecin, le Burundi souffre de l’application incomplète de l’Accord d’Arusha. Au lieu de ne plus se référer à cet Accord, il faut plutôt l’appliquer pleinement. 

Où sont les mécanismes de justice transitionnelle prévus par l’Accord d’Arusha ? Pourtant, si la Commission Nationale des Terres et autres Biens (CNTB) est décriée ces derniers jours; c’est que, par exemple, certains semblent ne plus se rappeler que la CNTB devrait faire partie intégrante des mécanismes de justice transitionnelle. L’ancien président SylvestreNtibantunganya a rappelé durant un récent atelier que l’Accord d’Arusha avait prévu une «Commission Nationale pour la Vérité et la Réconciliation dont la mise en place se fera sous forme d’une ‘Commission Vérité-Réconciliation’ avait entre autres  missions  d’arrêter ou proposer aux institutions compétentes ‘des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation et le pardon’ et de décider ‘la restitution aux ayants droit des biens dont ils avaient été dépossédés’ ou arrêter alors ‘des indemnisations conséquentes’ ou proposer ‘toute autre mesure politique, sociale ou autre visant à favoriser la réconciliation nationale qu’elle juge appropriée’».

Mais si la CVR et l’un des mécanismes les plus connus, le Sénateur Sylvestre Ntibantunganya a souligné une demi-douzaine de mécanismes qui, bientôt 14 ans après la signature d’Arusha, n’ont pas encore vu le jour :
-          La mise en œuvre d’un vaste programme de sensibilisation et d’éducation à la paix, à l’unité et à la réconciliation nationale ;
-          La création d’un observatoire national pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité ;
-          La promotion d’une coopération régionale en vue de la création d’un observatoire régional  pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité ;
-          La promotion d’un front national interethnique de résistance contre le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité ainsi que la globalisation et la culpabilisation collective ;
-          L’érection d’un monument national à la mémoire de toutes les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres crimes contre l’humanité avec ces mots : « PLUS JAMAIS ÇA » ;
-          L’instauration d’une journée nationale de commémoration pour les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres crimes contre l’humanité ainsi que des mesures permettant l’identification des fosses communes et l’enterrement des victimes dans la dignité.

Si l’esprit et la lettre de l’Accord d’Arusha guidaient réellement nos leaders et que tous ces mécanismes avaient été mis en place avec la meilleure des intentions, il y a à parier que le Burundi serait aujourd’hui un havre de paix politico-sociale totale. Les violences politiques ne seraient qu’une affaire du passé.Evidemment, même bien appliqué, l’Accordd’Arusha ne serait pas aussi sacréque la Bible pour les chrétiens burundais, mais il serait compris comme le document sacré de notre république dans son caractère laïc. Pour reprendre le slogan de plus de 500 associations et organisations burundaises, «Ne touchez pas au consensus d'Arusha». Il n’y a que garder Arusha dans notre constitution qui garantira l’intégrité de notre Accord pour la paix et la réconciliation. Une évaluation nationale et inclusive de cet Accord pourrait se faire après son application totale et complète.  Après une telle évaluation, les burundais dans leur diversité pourraient décider de garder le pacte socio-politique d’Arusha ou d’élaborer un autre document pour le remplacer.